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La Tebkiche
Cheb Hasni

Abdu, a 20 ans. Il est né à Marakech où il vit avec sa mère, ses deux petits frères et sa soeur. Aujourd'hui, il s'inquiète pour ses frères car il ne veut pas qu'ils subissent ce qu'il a vécu.

Abdu a une particularité dans le récit de sa vie qu'il m'a raconté,
c'est qu'il ne situe pas tous les moments de sa vie par rapport à des dates précises, ni dans l'année, par rapport à un mois précis, un jour précis, une saison précise. Il n'a pas reçu l'enseignement qui aurait pu lui permettre de se repérer dans les dates avec précision et en français à plus forte raison. De plus, au Maroc, pour exprimer un mois en français, l'habitude est de dire " le mois huit" pour Juillet, par exemple. Il ne se rend pas compte du temps qui passe, ni des jours, ni des mois...

 

Mon père

Il est mort subitement. J'avais 14 ans. Pour situer la période, c'était au moment de la guerre du Golfe. Il était employé municipal (gardien) puis en fin de carrière, il s'était trouvé un travail commercial. Il était vraiment très gentil et me faisait beaucoup rire quand j'étais petit. Ces punitions, c'était des chatouilles, mais c'était vraiment des punitions car je pleurais de rire à pisser dans la culotte. J'étais heureux avec lui, il me donnait beaucoup d'affection, des bisous, des calins, et toute la tendresse dont j'avais besoin. Et j'en avais besoin car dans la rue c'était autre chose.

 

Mon enfance

J'étais souvent, très souvent dans la rue, dès 6 - 7 ans. Papa travaillait, maman tricotait ou faisait d'autres activités que les femmes font... La chose qui me faisait le plus mal et ça a duré toujours dans mon coeur et dans ma tête, c'était de voir que des petits enfants de mon âge allaient à l'école et pas moi. Je les regardais aller sur le chemin de l'école avec leur cartable. Je me rendais bien compte que je perdais quelque-chose de très précieux et je réalisais déjà à cet âge que des différences existaient entre les enfants. Je n'ai jamais demandé à mes parents pourquoi, car je pressentais certaines vérités cruelles de la vie dont la pauvreté et même la misère de certains. L'école était peut-être gratuite mais le matériel scolaire était certainement trop cher pour mes parents.

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La rue

Donc, je traînais avec d'autres petits enfants, on passait le temps comme on pouvait, on s'éduquait entre-nous... C'était le foot ou des petits jeux d'enfants, mais c'était aussi des petits vols, comme par exemple le pain des boulangers qu'on revendait ensuite à d'autres boutiques. On volait aussi les touristes (appareils photos, sacs, tout ce qu'ils laissaient traîner), quand on était plus grand, on volait même leur casquette sur leur tête, en courant. On suivait les groupes de touristes pour voir. Mais aussi, on aidait les vieux dans leurs petits magasins, dans les souks, ou alors on faisait les porteurs à l'aéroport, à la gare routière, on guidait les gens vers leur autocar, les taxis, ou vers les cochers, ou on les aidait à trouver un hôtel. Ce qui est sûr, c'est que lorsqu'on me permettait de travailler, ou de rendre service, l'idée de voler ne me venait pas du tout. Seulement l'idée de rendre service et de faire mon travail le mieux possible, me tenait à coeur. Mon père ne savait rien car il n'aurait pas permis que je travaille à mon âge. Déjà, quand ma mère trouvait de l'argent dans mes poches, elle gueulait.

10 - 11 ans. J'allais sur la place Jemaa el Fna, je faisais le faux guide comme beaucoup d'autres, je vendais des colliers pour le compte du patron d'un petit bazar, je touchais mon pourcentage sur les ventes. Puis à 12 -13 ans j'aidais à vendre au bazar et si j'arrivais à ramener un touriste dans le bazar, je touchais également un pourcentage.

13 ans. Je me fais prendre en flagrant délit de vol. Je travaillais à cette époque, donc j'étais honnête et je faisais mon possible pour faire de mon mieux. J'étais petit vendeur de pièces traditionnelles et, alors que j'insistais auprès d'un touriste allemand pour lui vendre mes petits objets, il m'a craché dessus. Mon coeur s'est retourné, je me suis senti humilié. J'ai vraiment eu très mal au fond de moi. La colère est montée en moi pendant que je le regardais s'éloigner. Tout à coup, j'ai couru derrière lui et je lui ai piqué son sac avec son appareil photo. J'ai couru très vite mais un vrai guide m'a bloqué et le touriste nous a rejoint. Les agents de la police auxiliaire sont arrivés et ils m'ont arrêté. L'allemand a porté plainte au commissariat et j'ai eu trois mois de prison. Les policiers ont envoyé un message à mes parents. Papa a été surpris, très déçu et très malheureux, maman, elle n'a pas été surprise.

La Prison

C'était une prison pour les jeunes à Marakech. C'était dans la période de froid. Dans la grande chambre, on était environ 30 gamins. Il n'y avait pas de lit, on avait de vieilles courvertures sales et puantes. Il y avait des insectes et des rats. La pièce était noire éclairée par une sorte de toute petite fenêtre par où la lueur du jour passait. Le soir, ils éteignaient les lumières à 10H00. A la lumière du jour, on jouait au Poker avec du pain et dans la nuit avec un système de mèche qui brûlait lentement en cachette. On nous laissait sortir 1 à 2 heures par jour dans une cour. Dès le premier jour, un dur a voulu me tester et voulait que je couche sur le sol sans couverture. Alors on s'est battu et on nous a envoyé tous les deux pour trois jour dans le même cachot tout petit, tout noir, du pain sec et de l'eau. On s'est encore battu. Il s'appelait Atmane. On est devenu ami. Comme c'était le plus fort de tout le groupe, quand on est sorti et qu'on était ami, forcément, les autres m'ont respecté. Un mois après, maman est venu me voir pour me porter des vêtements et de la nourriture. Elle m'a fait comprendre que papa était fâché. Après, à la moitié de mon temps de prison, un nouveau prisonnier est arrivé, Mohamed, tout timide et gentil. Atmane a voulu se battre avec lui. Je les ai séparé et j'ai dû encore me battre avec Atmane. Là, finissait notre amitié. Je suis devenu ami avec Mohamed, je le protégeais des autres. C'était pas un enfant comme nous. Lui, c'était un enfant de famille et avait été à l'école, il était là à cause de sa tante ou quelqu'un de sa famille qui l'avait accusé du viol de sa cousine parce qu'ils avaient été surpris ensemble. Le dernier mois j'ai appris à fumer les cigarettes et la Marie-Juana que le gardien nous vendaient et je suis devenu un peu drogué. Puis je suis devenu méchant avec tout le monde sauf Mohamed.

 

Ma sortie

Je suis rentré à la maison tout seul. Je n'ai pas parlé à mes anciens amis du quartier.
Ma mère était surprise car elle n'avait pas fait le calcul pour ma sortie. Elle m'a donné de l'argent pour que j'aille au hamman me nettoyer. J'étais très sale sur tout mon corps et j'avais les cheveux longs. Elle m'a donné des vêtements propres. Quand je suis revenu,
mon père était rentré et m'a chassé de la maison. Je ne savais pas où aller. Je me suis dirigé vers la gare routière et je me suis caché dans le coffre d'un autocar, pour être au chaud. Le car a alors démarré et je suis descendu au hasard à Attaouia (35 kms de Marakech). En sortant le chauffeur m'a vu et m'a laissé partir. J'ai frappé aux maisons pour manger car j'avais très faim. Il y avait la colline de la contre-bande et du marché noir, kif, chirra (hashish), motos volées. Là, j'ai rencontré un mec plus grand qui fumait un joint. Il m'a fait une proposition de travail : vendeur. Je n'ai pas accepté ce travail trop dangereux mais j'ai proposé mon aide pour faire les courses (cigarettes, eau, manger). Je suis resté deux jours avec lui. Il était saoûl et complètement drogué. Il a voulu me violer mais je me suis échappé à temps. Dans un petit café, j'ai raconté ça à un monsieur qui m'a fait manger. On a fumé un joint ensemble et il m'a donné de l'argent pour rentrer à Marakech. Je ne suis pas rentré. Je suis me suis fait amené au hasard sur une charrette tirée par un âne.

 

El Kelaât Sraghna

Une petite ville. J'avais les vêtements sales, les cheveux de plus en plus longs. C'était vers la fin de mes 13 ans. Je vais chez le coiffeur qui me fait également le premier rasage de ma vie. Il se rend bien compte que j'ai un problème. Comme il n'arrive pas à savoir quoique ce soit sur moi, il me propose de travailler avec lui dans son petit local de coiffure même s'il a peu de clients. La première nuit, il m'enferme dans le salon et j'ai eu très peur qu'il ne vienne pour me faire du mal donc je n'ai pas dormi. Le lendemain en fin de journée, il m'a emmené chez-lui et j'ai été étonné de découvrir qu'il avait une femme. Très gentille, Fatima, comme son mari, Brahim, est pleine de bonté. Elle m'a permis d'être propre, m'a nourri et m'a donné son affection durant tout le temps où je suis resté auprès d'eux. Ils n'avaient pas d'enfants. Au salon, je faisais un peu de balayage, on parlait beaucoup, on faisait des jeux, on fumait du hasch... J'ai dû resté entre 3 ou 5 mois.

 

Le retour à la maison

C'était l'époque de mes 14 ans. Un matin, je suis parti avec mes propres économies pour retourner à la maison avec le car. Maman et papa étaient heureux de me voir. Papa est mort deux mois après mon retour. C'était à la maison pendant le Ramadan lors de la guerre en Irak. C'était l'époque de l'année blanche des étudiants Algériens, Tunisiens et Marocains. Les voisins du quartier étaient vraiment solidaires avec notre famille, on nous donnait de la farine, du sucre, des légumes...). Après, je passais mon temps au café (billard, cartes...), cinq ou 6 mois sont passés. J'avais une fiancée dans le quartier, j'ai baisé pour la première fois. Puis ma tante et son mari, qui envoyait de temps en temps de l'argent à ma mère sont venus nous voir. Ma tante a proposé à maman que je travaille avec son mari à Safi pour faire le pêcheur. Je n'étais pas très d'accord.

Abdu, le seul pêcheur de Marakech

Safi, le port, la pêche. Finalement, ils m'ont emmené. Il tenait une petite affaire de barques (pateras) avec pêcheurs. J'ai eu du mal à m'adapter à l'ambiance de ce métier où ils ne parlaient que poissons et travail et puis aussi à l'environnement familial, le mari de ma tante, le cousin. Ma tante m'a bien accueilli. Les cousines aussi... Pendant toute la période où j'ai habité chez le mari de ma tante, à Safi, je les ai baisé sur leur demande, les unes après les autres, même celle qui avait 12 ans mais déjà très grande et très avancé côté sexe... c'était des cochonnes et elles savaient ce qu'elles voulaient. Mes premiers jours en mer ont été catastrophiques. Dix jours à vomir, je n'avais pas faim, je fumais trop, je me droguais. Puis retour sur terre et nouveau départ pour quinze jours. Là, même si c'était encore très dur, j'ai commencé à m'intéresser au métier, à l'apprendre peu à peu et à l'aimer. J'avais 14 - 15 ans. Puis ma première paye. On était en escale à Oualidia. 500 Dirhams. J'en ai envoyé la moitié à ma maman. Peu à peu je me suis fait des amis sur le port. J'ai fait ce métier cinq ans environ. Il faut deux à trois ans pour devenir un bon marin. Un jour, où un thon tentait de s'échapper du filet, j'ai dû l'attrapper avec mes bras et le serrer très fort contre mon corps mais ses nagoires et sa queue m'ont transpercé à plusieurs endroits de mon corps.

Au bout de deux ou trois ans, j'ai découvert la vérité sur les véritables activités du mari de ma tante...

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